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Sep 27, 2012

Emballement génétiquement modifié

Cela fait maintenant un peu plus d'une semaine que l'étude de Gilles-Eric Séralini et ses collègues sur les effets du maïs OGM sur la santé des rats est disponible en ligne. Je suppose que ceux qui sont intéressés par l'étude elle-même l'ont déjà lue depuis plusieurs jours mais, dans le cas contraire, vous pouvez la récupérer sur ScienceDirect.

Depuis une semaine les réactions sont nombreuses, et le traitement médiatique (cf. par exemple la Une du Nouvel Observateur la semaine dernière, "Oui, les OGM sont des poisons !") ne fait qu'amplifier le phénomène.

Il y a en France un scepticisme "anti-experts" qui ne date pas d'hier (et qui n'est pas forcément toujours une mauvaise chose, lorsqu'il est éclairé). Dans ce contexte, tout résultat qui va contre le consensus scientifique est généralement accueilli avec bienveillance par les médias. On peut par exemple penser à la place accordée aux interventions de Claude Allègre sur le changement climatique, ou aux titres ravis sur la possible "erreur" d'Enstein au moment des neutrinos supposément plus rapides que la lumière (ce qui a été contredit depuis).

Il ne faut donc pas s'étonner que certains se soient empressés de relayer cette étude sans essayer de prendre le moindre recul, d'autant plus que la souche de maïs OGM en question est produite par Monsanto (multinationale américaine dont le comportement est loin de faire l'unanimité). Ceci permet de rajouter une touche David-contre-Goliath (et/ou roman d'espionnage) du plus bel effet.

L'empressement est tel que, pour pouvoir passer outre l'embargo sur l'article avant sa publication (procédure classique), certains journaux ont cette fois-ci accepté de traiter de l'étude sans faire appel à des scientifiques tiers. C'est gênant, mais cela devient carrément problématique quand (i) le sujet est aussi sensible, et (ii) l'étude est aussi sujette à caution.

En effet, depuis une semaine, les critiques pleuvent. Le protocole mis en place pour l'étude ne semble satisfaire personne, notamment parce que :
  • l'échantillon utilisé est trop petit, ce qui pose des problèmes statistiques. Cela est par exemple très bien montré par cet article du Bactérioblog. Pour plus de détails sur les problèmes statistiques de l'étude, il y a aussi un excellent document de Marc Lavielle (Inria Saclay et Laboratoire de Mathématiques, Université Paris-Sud Orsay; Membre du Conseil Scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies), que j'ai trouvé sur Twitter via @Enroweb.
  • l'espèce de rats utilisée pour l'étude est sujette au développement rapide de cancers, notamment si leur alimentation est excessive. Cela pose de nombreux problèmes, et pas seulement pour cette étude, comme le détaille cet article sur le blog Matières Vivantes.
Ces deux blogs contiennent d'ailleurs de nombreux liens vers d'autres (très bons) billets que je vous conseille d'aller lire.

La remise en cause de l'étude n'est pas uniquement francophone (voir par exemple ici), ni même uniquement le fait de la blogosphère scientifique. Le journal Nature est notamment très critique dans son éditorial du 25 septembre.

La réponse à ces critiques est très insatisfaisante. Pour l'instant, elle se limite à deux volets:
  • ceux qui critiquent sont à la solde des lobbys pro-OGM.
  • les autres études ne sont pas meilleures (en résumé, elles utilisent les mêmes espèces et les mêmes tailles de population). Séralini et ses collègues les auraient critiquées (je n'ai pas vérifié, mais Arrêt sur Images en parle), et au minimum le protocole standard est détaillé (pas vraiment critiqué) dans l'étude elle-même.
Le premier point est une tentative de discréditer toute opposition, et ne tient pas la route. Ou alors il faut que quelqu'un prévienne Monsanto que mon chèque s'est perdu (ainsi que ceux destinés aux blogueurs cités plus haut).

Le second point est plus grave. Si les auteurs sont si critiques des limites des autres études, pourquoi avoir repris le même protocole ? On aurait pu espérer qu'ils aient l'idée de mettre en place quelque chose de plus rigoureux, justement pour montrer qu'ils vont plus loin que les études qu'ils dénoncent.

J'ai vu circuler le chiffre de trois millions d'euros pour le budget cette étude. Cela me parait beaucoup, surtout quand on regarde les auteurs de l'étude et qu'on constate que la plupart ont des postes académiques ou au CRIIGEN. Les dépenses en personnel ne doivent donc pas faire exploser le budget de l'étude (même en comptant les autres auteurs comme post-doctorants et quelques techniciens non-cités parmi les auteurs, ce qui ne serait pas très gentil mais pas forcément inhabituel). Est-ce que les trois millions sont censés couvrir plusieurs études ? Sinon, il y avait à mon avis de quoi travailler sur plus de rats.

Séralini est invité dans l'émission "Des Cliques et des Claques" de ce soir (27 septembre), sur Europe 1. Espérons que cela lui donnera l'occasion de s'expliquer (même si je ne m'attends pas à ce que l'émission aille très loin dans les détails techniques, car ce n'est pas son but). Je ne suis ni pro-OGM, ni anti-OGM. Je demande simplement à être convaincu de la valeur de cette étude (et pour le moment je ne le suis pas du tout).

On peut penser à plusieurs questions appropriées pour une émission non-technique :
  • Pourquoi avoir mis des photos de rats souffrant de tumeurs dans l'article, alors que de telles photos n'ont absolument aucune valeur scientifique ? L'article n'est-il donc là que comme "machine à buzz" ? Et si des photos sont ajoutées, pourquoi seulement pour les rats nourris aux OGM et/ou aux pesticides, comme le souligne un autre bon article du Bactérioblog, alors que 30% du groupe de contrôle développe aussi des tumeurs ?
  • Pourquoi avoir imposé aux journaux grand-public de ne pas contacter d'autres chercheurs comme condition préalable à l'accès à l'étude avant sa publication ? Cela peut apparaitre comme un manque de confiance en ses propres résultats.
  • Que s'est-il passé entre le 2 août, jour où l'article est accepté, et le 19 septembre, quand il devient accessible en ligne ? A-t-il fallu 48 jours pour préparer un "plan média"; la publication a-t-elle décalée pour coïncider avec la sortie du livre et du film ? Pour la revue en question, si on se base sur les 56 articles actuellement "in press" pour lesquelles toutes les dates sont disponibles, le délai moyen est de 20 jours (et même seulement 12 jours si on exclut un article pour lequel le délai est anormalement long, à 446 jours). À moins que ce ne soit un hasard dû à la faible taille de l'échantillon ?
  • Étant donnée l'importance du sujet traité, pourquoi l'article n'est-il pas publié dans une revue en accès libre (comme le souligne un billet sur Tout se passe comme ci), ou dans une revue à plus fort impact ? Les status du CRIIGEN vont pourtant dans le sens d'un large accès au public.
  • Pourquoi ne pas avoir déclaré de conflit d'intérêts ? La sortie simultanée de produits commerciaux (livre et film) est un évident conflit. Les sources de financement pourraient en être un autre (notamment en raison de la politique commerciale des chaines de distribution qui participent au financement). Ce point seul ne suffit pas à invalider l'étude, bien évidemment, mais pourquoi ne pas être transparent ?
  • Pourquoi toutes les données ne sont-elles pas disponibles en annexe ? Tout ne peut pas tenir dans l'article lui-même, c'est compréhensible, mais comme le souligne le dernier blog mentionné, il est courant (et désormais très facile) de partager ces informations.
Vous ne voudriez pas savoir tout ça, vous ?

Je serais aussi curieux de savoir qui a au accès à l'article pendant l'évaluation par les pairs, et quel a été leur appréciation de l'étude. Cela restera bien sûr au niveau de la curiosité, car les auteurs n'ont pas cette information et ce n'est pas dans les habitudes des journaux de divulguer ces informations.

Je me demande enfin, (encore de la curiosité), quelle a été la contribution de chaque auteur. Il est de plus en plus fréquent que cette information soit donnée dans les articles, mais ce n'est pas le cas ici. Joël Spiroux de Vendômois est par exemple médecin généraliste selon le site web du CRIIGEN, dont il est président et qui finance l'étude. Je m'étonne de sa présence en tant qu'auteur de cette étude.

Le temps de l'éclaircissement scientifique viendra (il faut reproduire l'étude, augmenter la taille des groupes, améliorer l'analyse, etc.), mais il est déjà temps de mettre fin à l'emballement médiatique des dernier jours. Dès ce soir ?

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